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Une distance me rapproche et m’éloigne de l’autre, concomitamment.
Je sens dans ton ouverture un appel à la communication; ton corps me fait signe de sa douceur, et ton esprit se tourne vers moi, m'accueille dans sa disponibilité et je m’étonne de ma réponse. Je te regarde, je te vois, je te parle, je pousse la porte, mais la porte ne s’ouvre pas.
Ton corps se ferme; il veut étendre ses bras, prendre l’air; mais quelque chose se crispe et se tend et noue ta gorge au moment de s’exprimer. Parole étranglée dans un souffle coupé qui se meurt à même le corps et t’éclabousse de honte en t’arrachant ta dignité. Pourquoi fuis-tu?
Tu trembles, tes tremblements trahissent le silence qui entoure ton corps, trahissent la pudeur qu’exhibent tes sens; en vain : tu te tends, tu veux crier, je le sais, je le sens, mais quelque chose te retient dans l’impossible, dans l’implacable horreur de l’intime. La peur, t’étrangle comme un mensonge qui te serre la gorge. Que fuis-tu? Etrangle-la.
Regarde-moi. Je suis de chair et d'os et de misère, et de folie, comme toi. Et j’ai peur et je tremble de l’intérieur, mais je veux, j’ai besoin de te regarder dans les yeux. Je veux toucher de mes mains la douceur de ton âme, plonger en toi le temps d’un battement de cœur et m’oublier dans la nudité de ce que tu me révéleras. Pose ta main sur ma poitrine qui bat, trempe tes doigts dans le sang qui coule dans mes veines; nous sommes vivants et la vie est là, à portée de main, dans la poignée de tes mains, la sens-tu vibrer en toi? Je la sens battre dans mon corps à m’en déchirer la peau.
Si je te tends la main, la prendrais-tu?
Un pas vers l’autre creuse l’abîme. Si l’autre se ferme, je tombe dans le vide, où la solitude m’attend. Mais l’autre, s’il avance vers moi, referme l’abysse et m’ouvre le passage. Du fond de sa solitude, l’autre m’appelle et je lui réponds, des profondeurs de la mienne. Deux solitudes qui communiquent, en se partageant, se sauvent. C’est la beauté du partage : le partage de la vulnérabilité.
Mon bras qui s’ouvre pour t’accueillir me noie dans la tendresse du don que je t’offre, et qui est moi-même, et je suis envahie d’une douceur à en avoir les larmes aux yeux.
Il ne nous faut pas oublier notre humanité, nos forces qui font notre faiblesse comme nos faiblesses qui font notre force; nous avons conquis le monde, il nous reste à nous conquérir nous-mêmes, dans l’éblouissante beauté et l’inquiétante fragilité de notre être qui remue au bord de l’immensité.
Crève ton âme, je sais que tu en as peur, moi j’en frissonne; mais j’ai crevé la mienne, pour que tes yeux s’ouvrent et y trouvent, peut-être, ce que tu cherches sans le savoir.
Si je m’offre en miroir, oserais-tu y plonger ton regard?
Je t’attends.